LES MOTS
Je n'ai plus de mots. J'ai perdu mes mots. Pour une fois, je n'ai réellement plus de mots. Je pensais que l'alphabet entier était gravé quelque part dans ma chair, je me trompais. Les lettres ne s'encrent plus. J'ai perdu la langue, j'ai perdu mon cristal qui me permettait de voir si clair. J'ai perdu la clarté, j'ai perdu la vue. Je suis sourd et aveugle. Un vieux monsieur à peine moustachu qui a déjà survécu à la démence, non pas une, non pas deux, non pas trois, mais plus de fois que je ne peux m'en assurer. J'ai survécu à la démence mais la lucidité m'a achevé. La lucidité a succionné l'encre hors de mes vaisseaux sanguins, elle a arraché ma chair entière et dilapidé l'alphabet. Au complet. Je n'ai plus de lettres pour former mes mots. Je n'ai plus non plus de bras. Je suis manchot, en plus d'être sourd et aveugle. Je suis manchot et mes bras sont fantomatiques. Ils n'effleurent plus que l'âme de celleux qu'ils enlacent. Je n'ai même plus de jambes. Je n'ai même plus de jambes pour courir sur les sentiers gelés. En fin de compte, voilà pourquoi je n'ai plus de mots : je n'ai simplement plus de corps ! Je n'ai tout simplement plus de corps. Plus de peau à caresser, plus de chair à embrasser. Je n'ai plus de corps. Voilà mon comble : je n'ai plus de corps, je n'ai plus de mots.
Hélyo James, 27 novembre 2023