J'observe, sur ce banc, cette soirée qui défile, de musique en musique. Le temps s'apaise, la luminosité baisse au fil des heures. 1h30 que j'observe, c'est encore peu. Je laisse mon esprit s'imprégner de cette douce atmosphère qui règne, je ne suis pas parti, pas encore.
J'observe, sur ce banc, ces gens qui défilent, me sourient, se questionnent, j'aime ça. Comme en hiver, je fige le temps par la contemplation. Peut-être pensent-ils que je suis sage, peut-être un peu trop, et peut-être ont-ils raison, ou peut-être pas. Je ne sais pas, je me fiche de tout ça. Je suis juste là, à attendre. Attendre quoi ? Attendre, simplement. Il n'y a pas de but dans mon attente, j'attends seulement.
J'observe, sur ce banc, ce paysage au loin, tous ces bâtiments à l'architecture si spécifique de ce bout de terre, qui se jonchent au milieu de tous ces arbres environnants. Ces voitures qui s'éclairent, disparaissent, laissent la place aux suivantes. C'est beau. Le temps se fige dans son défilé, mes émotions aussi quelque part.
Je m'ancre dans ce monde, je crée une bulle de temps, j'y peins ces visages, ces sourires, ces arbres, ces flèches sur les toits. J'y peins l'insouciance du moment, la sérénité qui s'en dégage. Tout ça me renvoie en hiver, à cette période où le temps s'endort au fil des jours, où les esprits s'éveillent le temps de quelque temps.
C'est éphémère, bien sûr, c'est ce qui fait toute la beauté de cette période, de cette naissance hivernale. L'air se fait frais, froid, les cœurs eux se réchauffent, s'entremêlent et s'enlacent. Par l'amoncellement de vêtements, les corps s'effacent pour laisser l'esprit des cœurs en quête de chaleur se révéler.
J'aime la sensation du froid sur ma peau, ce froid qui pique, caresse, puis réchauffe avant de brûler. Ce froid qui réveille, éveille. J'aime cette simplicité qui s'élève de l'hiver. J'aime cette ambiance tamisée, ces chutes verglaçantes qui ramènent l'insouciance enfantine. Si ma survie ne s'en trouvait pas menacée, je m'étalerais sur le sol enneigé, pour ne plus y bouger, comme éternellement allongé sur ce blanc scintillant. À contrario de l'étouffante chaleur estivale, le froid permet de respirer, il vit dans nos poumons quand la chaleur vient y mourir.
Alors j'observe, je mémorise chacune des formes montagneuses qui dessinent un paysage infini, empli de verdure. J'observe la douce mélodie qui s'en dégage. Je suis toujours assis, sur ce banc, en haut de ces marches, devant le passage des derniers êtres étudiants du jour. Cela fait maintenant deux heures, je n'ai pas bougé. Je suis bien. La musique continue de retentir dans mes oreilles, c'est à peine si j'y prête attention, elle masque seulement l'agitation alentour. Je vais l'éteindre, profiter du silence qui a fini par s'installer sur le campus.
La faim quant-à elle fait seulement son apparition, je l'ignore pour l'instant. Je mangerai quand cette dernière deviendra insupportable. Je me lèverai alors de mon banc, descendrai les marches qui me séparent de la porte inférieure, me dirigerai jusqu'au couloir qui suit, nourrirai le distributeur qui me nourrira à son tour ; puis je rejoindrai la sortie qui aura été mon entrée quelques secondes auparavant, remonterai les mêmes marches descendues, reviendrai poser mon corps immobile sur ce même banc qui supporte mes pensées. Ce sera un moment hors du temps, qui restera figé éternellement.
Et alors que rien n'y présageait, dans une dernière et profonde inspiration, je me lèverai pour la seconde et dernière fois de ce banc, et regagnerai le cours du temps normal, après des heures passées à simplement contempler, à vivre dans la présence par mon absence de présence. Je me ferai à manger, ou peut-être pas, préparerai mon sac pour le lendemain, et finalement j'irai me coucher. Demain j'oserai. C'est inscrit sur la feuille qui me servait de marque-page, elle ne sert plus à présent, mon livre est terminé depuis plus de deux heures. Je l'afficherai sur ma porte d'entrée, "OSER", qui est accompagné de plusieurs petits autres mots, "AIMER", "VOIR", en plus petits caractères, ainsi que plusieurs autres petits rappels de vie. Demain j'oserai.
Hélyo James, 14 septembre 2021