DISSONANCE

Les voitures entrent en collision avec mon champ visuel dans une brutale douceur. Le temps est brutal au ralenti. Le bus fonce lentement et droit sur moi. Je ne peux le voir, je suis trop lent, je suis déphasé. Je suis arrivé chez nous avant même de réaliser que j'étais en marche. J'ai failli tuer un cycliste en étant sourd de sa sonnette et aveugle de son ombre. Pendant 40min, j'ai marché, entrevu des mirages, suis passé à deux doigts de me prendre un énième panneau de signalisation dans le visage... mon visage... j'ai mal au visage, j'ai mal à la tête. Pendant 40min j'ai écrit sans me rendre compte que j'écrivais. Sans porter attention au soleil qui brûlait mes rétines et aux gens qui apparaissaient puis disparaissaient de ma bulle. Voilà une belle dissonance. 
 
Hélyo James, 28 septembre 2023

CONFÉRENCE

À la renverse. La framboise bat si fort qu'elle en échappe son coulis dans mes veines à en chatouiller mes poumons. Chaque petit muscle de son fruit se contracte l'un après l'autre et pompe le rouge écarlate hors de sa cage bombée. Le coulis coule jusqu'à terre et se répand dans la pièce jusqu'à l'inonder complètement. Il coule jusqu'à ses pieds, jusqu'à sa bulle, son petit monde enseveli sous la neige. Autour le monde s'écroule, devient chaos dans le noir. À la renverse. Mes veines se purgent de ce jus sucré. Dans le noir, les formes abondent et se dandinent dans tous les sens. Seule une demeure inerte : la sienne. Inerte jusqu'à ce que ses yeux, qui jusque-là étaient plongés dans le vide, entament une lente rotation de 32° vers l'Est depuis le 58ème degré Nord. Ils poursuivent leur rotation jusqu'à tomber sur la seule autre forme inerte dans cette pièce si noire : la mienne.
 
Hélyo James, 27 septembre 2023

BALANCIER MIROIR

L'air se fend devant moi telle une lame aiguisée transperce la chair de celle qui aura trop parlé, de celle qui aura trop osé. Les jambes se balancent dans un mouvement interminable, sans fin. Je regarde le métronome éternel du temps qui passe et de la vie qui s'achève. Elles rebondissent sur le trottoir à la manière de ressorts dansants et se font tracter de cette force qui ne peut qu'aller en avant, ce même lorsqu'elles semblent être à reculons. Le métronome m'hypnotise, me voilà grimpant les marches de l'envers. À l'envers tout est plus fluide, tout est plus calme. Cet univers bidimensionnel ramène à l'essentiel, à ses ombres qui disparaissent à petit feu. Elles désertent la terre pour plonger dans la cascade du ciel. Là-bas le temps n'est plus et la vie non plus. Je ne suis qu'une forme divaguant sur la carte du monde. D'ici, la terre n'est pas ronde. Peut-être que ces âmes qui déchirent leur voile ne voient plus que ce monde, peut-être ne sont-elles pas complotistes, seulement perdues. Quoiqu'il en soit, le métronome que j'observe dans ces vitres en marchant va bientôt disparaître, je vais faire face à Laurent. Je vais prendre forme dans cet autre univers, tridimensionnel, et ne plus qu'imager ces ombres intérieures. Un pas sur le pont et... je ne vois plus le temps. Un dernier regard sur les chaussures de ma voisine et ses lacets sont libres ; seuls ses lacets sont libres.
 
Hélyo James, 12 septembre 2023