FOURBERIES

Elle m'observe, du coin de l'œil, sans un bruit, sans un mot. Je ne peux croiser son regard. Mon cœur protégé, mon cœur renfermé. Jamais plus. Je suis sourd désormais, je suis sourd à jamais. J'ai fait taire les sentiments, ces mêmes sentiments qui autrefois m'ont fait taire. C'est elle, c'est elle qui m'a brisé. J'ai fondu sur les terres gelées, j'ai disparu dans son monde martelé... hypocrite qu'elle était. Dans mon regard : la rage, la rancœur. Elles cachent les brisures, la trahison, la peine et la douleur. Elles tuent la raison, les sentiments, combattent les émotions, le désir brûlant. C'est le dégoût qui l'emporte encore, quand par mégarde son regard je rencontre. La double trahison, la double peine. Je suis sourd, je suis sourd et muet. Je tairai ces choses qui m'ont emprisonné, je fuirai, j'ai déjà donné. Douleur, rancœur, sans cœur, fureur, et le malheur devient fourbe bonheur.
 

Hélyo James, 19 février 2022

LE DÉFI

C'était un après-midi d'été ensoleillé, il faisait chaud, les corps étaient exposés, se dévêtissaient au fil des heures qui se réchauffaient. Au coin de la rue, en bord de plage, mon regard s'est retrouvé volé. Elle m'avait attiré, je ne pouvais plus m'en détourner, elle m'avait envoûté, j'étais pris dans ses filets dorés. Plus je m'en approchais, plus la chaleur m'envahissait. Les gouttes perlaient le long de mon front, de mon visage, de mon cou. Je l'imaginais à ma portée, mes doigts, mes mains sur son corps doré. Mon cœur s'emballait dans l'antre de mon torse dénudé alors que je savourais déjà ce sensuel toucher.
 
Je m'étais approché, un peu plus encore, mes yeux toujours plongés sur elle. Mes lèvres doucement étaient venues la trouver, je la goûtais. Délicatement, j'explorais ses formes parfaitement arrondies, parfaitement dosées, une parfaite enivrance. Je la sentais fondre au contact de ma langue qui parcourait lentement son corps nu, son corps perlant, scintillant de sensualité. Le sol s'en est trouvé mouillé, arrosé d'une déferlante réaction au soleil, à la chaleur, et à son corps léché. Mmmmh... une telle extase...
 
La complémentarité de nos chaleurs en ce bel après-midi d'été avait fait de cet instant de paix un instant de pure jouissance. Elle était de celles qui mettent le temps sur pause, si belle, si parfaite, si sensuelle... on ne voulait pas en manquer la moindre seconde, la moindre bouchée. Profiter de chacun des instants qui nous séparaient de la fin était alors devenu une évidence, c'était si beau, si savoureux, si pur. Elle est restée gravée dans ma mémoire, elle et sa belle robe orangée parsemée d'éclats en relief d'une couleur plus foncée. Je n'aurais pu rêver plus rafraîchissante compagnie, ni même plus jouissive, en cette si belle journée ensoleillée. Sirop d'érable, éclats de noix... tant parfaite cette crème glacée.
 

Hélyo James, 14 février 2022 (écrit le 28 janvier 2022)

L'ÉPOPÉE

Elles fusent, les pensées, les émotions ; ils filent, les songes, le temps. Je ne pense pas, je pense sans cesse. Je ne bouge pas, je ne cesse de tournoyer. Insatiable, affamé, rassasié, dévoré. Tourne et tourne encore, dans une ivresse infinie. Tourne et tourne encore, tourbillon de folie. Sur son lit, la rivière, le sommier, au sommet. Démange, brûle, hors du temps, trop de temps, débordé, dépassé. La pluie qui coule sur ta peau exposée, ton cœur renfermé dans une eau saturée. Respire, ne respire pas. Elle coule, dégouline, jusqu'au sol, sous tes pieds. Glisse, saute, tourne encore. Sans jamais penser, sans jamais t'arrêter. Tourne et tourne encore. À trop penser, à trop rêver, ne pense plus, ne rêve plus. L'instabilité dessinée, désirée, méprisée, évitée.
 
Le jour, le seul qui compte, sans lendemain, sans veille non plus. Le jour, le seul, l'unique. Trop de pensées, plus de pensées. Débordé, libéré. File, cours, à toute allure, à l'aveuglette, sans horizon, sans allusions. Saturée, l'eau saturée. Elle coule, coule encore, ton corps nu exposé sous les cordes qui tombent du ciel grisé, t'es trempé, apaisé, sans pensées, et non navré. Tu rattrapes un temps insensé, un temps démembré qui ne peut exister. Elle est morte, la sensation. Il est mort, le désir. Tu es libre, assouvi de sentiments, débordé d'émotions. Tu vis, tu cours, sans jamais te retourner, pris dans ton élan, tu ne cesses de courir, pour ne plus jamais mourir. La pluie coule et coule encore, sur ton corps dénudé, rebondit sur le sol mouillé dans une explosion d'échos par milliers, elle recouvre les routes d'une fine étincelance. Sans peur, sans craintes apparentes, la frilosité envolée, jamais plus tu ne trembles. Tu danses, sous la pluie, les bras ouverts vers le ciel, vers la prochaine épopée.
 

Hélyo James, 10 février 2022

JE ME SOUVIENS

J'ai encore en images cet instant de joie qui m'avait surpris, je me souviens de ton regard, ton sourire ce soir-là. Tu paraissais enfin heureuse, après tant d'années à lutter pour retrouver ta vie et panser les écorchures du passé. Il t'avait brisée, tu lui avais échappé. T'avais trouvé l'Amour dans un endroit insoupçonné. Tu avais enfanté, à cinq reprises. T'avais fait face à ton passé, éloigné le lard de nos vies, nous avais protégés. Malgré la maladie qui t'étreignais, tu survivais, persévérais. Dans ta souffrance d'antan, tu avais trouvé la force d'apaiser d'autres âmes tourmentées.
 
Je me souviens de la fatigue qui tirait ton visage, des bleus qui témoignaient de cette chose qui t'a tuée. Je me souviens de ces soirées à t'écouter lire nos histoires, tous ensemble à tes côtés, alors que la fatigue nous gagnait. Je me souviens de ces crises, de ces combats, ces incompréhensions, ces rejets. Je me souviens de la peine qui coulait sur tes joues, tandis que j'affirmais toutes ces choses qui t'horrifiaient. Je me souviens de ta patience, tes inquiétudes, alors que je luttais contre l'amour que tu me portais. Je me souviens de ces moments de déchirure, mais je me souviens surtout de tous ces autres aux sourires si longs qu'ils en chatouillaient les oreilles.
 
Je me souviens de ton regard, ton sourire ce soir-là. Tu paraissais enfin heureuse, tu étais libre. Tu dansais, au beau milieu du salon, faisais tournoyer mes plus jeunes frères au rythme de la musique qui résonnait. J'entends les rires, j'entends le tien. Enfin la paix éclatait, tandis qu'encore une heure avant les cris fendaient le silence. Je me souviens sentir les traits de mon visage se détendre, observer la nouvelle toi qui virevoltait de bonheur. Tu m'avais rendu heureux ce soir-là, par ta joie qui rayonnait. Toutes ces années à morfondre ma vérité, à me rebeller contre toutes ces choses, ces personnes qui m'entouraient... Maman, je suis tellement désolé...
 
Aujourd'hui est l'éternel anniversaire, 4 ans qu'il n'y a plus de fêtes. À la place, des messages de soutien qui reviennent annuellement. Tu en aurais eu 45, des années. Je t'oublie, que je le veuille ou non, et c'est dur à accepter. Les souvenirs que j'ai de toi ne sont plus autant présents qu'avant, les émotions qui y sont associées ont presque disparu. Je ne ressens plus tant de peine, de nostalgie, ou de manque... et ce manque me manque. Tu étais le repère que je ne pouvais voir, mon seul regret. Je voudrais te pleurer, mais je ne l'ai jamais vraiment pu. J'étais tant dissocié... le deuil, je ne l'ai pas vécu.
 
Mais je garde encore en mémoire ces instants de renaissance, ces instants de bonheur étincelant. Je garde encore en héritage ton sourire, cette quête de liberté. Je garde encore en souvenirs la fierté sur ton visage, les instants mère-fils si précieux. Je garde encore ces photos, ces vidéos, et me remémore les films comme si j'y étais. Je garde encore dans mes rêves cette dernière journée si particulière, cet apaisement, cette réconciliation, ce bonheur qui s'était ancré, ce dernier regard et ce dernier sourire adressés, dans cette rue, sur ces monts, ta main froide dans la mienne, tandis que chacun de nos mondes se trouvaient ébranlés. Maman, tu vois, je me souviens encore...
 

Hélyo James, 3 février 2022

SI BELLE

Elle débarque, mon cœur embarque. Sans équivoque, je la désire. La sensation d'antan qui me manque, va-t-elle revenir ? À trop rêver, à trop penser, j'ai oublié ce qu'est aimer. J'ai perdu le fil, l'amnésie se profile. Moi qui l'avais tant désirée, je donnerai tout pour ne pas l'effacer. Regarde-moi, touche-moi, charme-moi, une nouvelle fois. Mon cœur est résigné, a accepté ; la nostalgie ne le veut pas, ne l'admet pas. Mon cœur pansé, je tente d'annihiler le passé. Elle est si belle, elle est si belle... la sensation d'antan qui enivre, qui fait revivre. Elle est si belle, elle est si belle... son âme qui veille, qui m'émerveille. Derrière la peine infligée, l'histoire, les ressentis figés. Va-t-il revenir, le prompt désir ?
 

Hélyo James, 23 janvier 2022

TU N'AS PAS LE DROIT

Je ne peux plus descendre là-bas sans une pensée pour toi. Je n'aime pas ça. Je veux vivre libre de toute pensée, de tout mirage, qui me hanterait de toi. Tu n'as pas le droit. Ça, c'est à moi. Tu n'as pas le droit, tu n'as même pas demandé. C'est à moi, pas de ces choses que je veux partager avec toi. Va-t'en. Tu n'as pas le droit, je ne te l'ai pas donné. Mes cris, devenus silences redoutés, parlent pour moi. Je ne veux pas de toi, pas là-bas. Laisse-moi crier en paix, tu ne seras pas le sauveur. Je voulais tant de toi, mais pas comme ça. Non, tu n'as pas le droit, c'est à moi. Va-t'en.
 

Hélyo James, 19 janvier 2022

RÉVERBÉRATION

Je rêve jusqu'à la dernière lune, fais fi de toutes ces dunes. La mélodie qui résonne sans fin, dans un silence enfantin. Les pensées qui meurent dans le sillage, la liberté en héritage. La barque qui balance, et qui sur les vagues s'élance. Je rame vers le lointain rivage, je prends le large. La plume qui s'envole dans le tourbillon de l'enclume dans cet ancien sillon. Martelée par le cœur ensorcelé, le cœur du trop penseur. J'amarre. Le cœur dormant, protégé de cet aimant, de ces amants. Sur la marre... je perçois enfin son reflet. Je le vois, l'enfant fluet. Cette plume apprêtée et cet arc qu'il a tressé ; les roues, les lames, le bois sous ses pieds ; son ombre dansante autour du feu crépitant et la guitare chantante... La barque amarrée, ce ne sera qu'un bref arrêt. Je perçois enfin son reflet... je le vois, l'enfant fluet.
 

Hélyo James, 17 janvier 2022

SOUVENIRS D'UNE NUIT D'ANTAN

Le silence nocturne... Le vide... Il n'y a personne sur cette route... La voiture fend l'air froid de la nuit, le seul bruit alentour. Je vais vite, peut-être un peu trop. Il fait noir, c'est à peine si les phares percent à travers le brouillard. C'est dangereux, je le sais, je le sens. La radio qui grésille ne présage rien de bon. Je ne décélère pas, je ne ralentis pas, ma vitesse reste constante... trop rapide. Je flirte avec la mort, le danger qui m'assaille. Je reste sourd à mes intuitions, sourd de ma raison. Étrangement, ça me fait du bien. C'est presque si je me sens vivant, pour une fois. 
 
Les paysages défilent dans l'obscurité, la forêt à perte de vue. J'entends les loups hurler, les grillons chanter, les pas dans les feuilles mortes, le bois qui craque. La Nature sauvage qui ne dort pas, jamais. À travers l'épais nuage, je perçois des ombres, des mirages, j'hallucine. Dans le silence obscur de la nuit, la vie semble veiller, doucement, prudemment, sur un danger. Elles m'appellent... les étrangetés de la nuit... elles m'appellent.
 
Il fait chaud dans la voiture, la ventilation rugit pour faire fondre la condensation. Et si... ? Un coup de volant, juste comme ça, juste pour voir. La route déserte laisse place aux prédictions. Les visions me font voir ce qui m'arrivera, si je ne ralentis pas, si je ne décélère pas... au coin d'un virage, dans le brouillard... les hurlements de la gomme sur le sol routier, les roues qui heurtent l'obstacle, les tonneaux... le bruit sourd, les bris de verre, la fumée... le sang sur le pare-brise, la respiration sifflotante... la mort dans cette forêt, ce soir-là, dans mes songes...
 
La radio n'en finit pas de grésiller, je roule encore, à vitesse constante. Je flirte avec les règles, mes limites. Je n'ai pas peur. Ce soir-là, je n'ai pas peur. Et si... ? Et si c'était la fin ? Des ressentis, l'absence de ressentis... La mort de ces mirages, de ces films qui me privent... Je n'ai pas peur de mourir. Je me fiche de l'absence de vie... mais pas d'eux, pas d'elles... Jamais je ne le pourrai, même si je ne ressens rien, même si la joie m'habite... Ce soir-là, juste pour voir, juste comme ça, je me suis dit... et si... ?
 
Hélyo James, 2 janvier 2022