J'ai encore en images cet instant de joie qui m'avait surpris, je me souviens de ton regard, ton sourire ce soir-là. Tu paraissais enfin heureuse, après tant d'années à lutter pour retrouver ta vie et panser les écorchures du passé. Il t'avait brisée, tu lui avais échappé. T'avais trouvé l'Amour dans un endroit insoupçonné. Tu avais enfanté, à cinq reprises. T'avais fait face à ton passé, éloigné le lard de nos vies, nous avais protégés. Malgré la maladie qui t'étreignais, tu survivais, persévérais. Dans ta souffrance d'antan, tu avais trouvé la force d'apaiser d'autres âmes tourmentées.
Je me souviens de la fatigue qui tirait ton visage, des bleus qui témoignaient de cette chose qui t'a tuée. Je me souviens de ces soirées à t'écouter lire nos histoires, tous ensemble à tes côtés, alors que la fatigue nous gagnait. Je me souviens de ces crises, de ces combats, ces incompréhensions, ces rejets. Je me souviens de la peine qui coulait sur tes joues, tandis que j'affirmais toutes ces choses qui t'horrifiaient. Je me souviens de ta patience, tes inquiétudes, alors que je luttais contre l'amour que tu me portais. Je me souviens de ces moments de déchirure, mais je me souviens surtout de tous ces autres aux sourires si longs qu'ils en chatouillaient les oreilles.
Je me souviens de ton regard, ton sourire ce soir-là. Tu paraissais enfin heureuse, tu étais libre. Tu dansais, au beau milieu du salon, faisais tournoyer mes plus jeunes frères au rythme de la musique qui résonnait. J'entends les rires, j'entends le tien. Enfin la paix éclatait, tandis qu'encore une heure avant les cris fendaient le silence. Je me souviens sentir les traits de mon visage se détendre, observer la nouvelle toi qui virevoltait de bonheur. Tu m'avais rendu heureux ce soir-là, par ta joie qui rayonnait. Toutes ces années à morfondre ma vérité, à me rebeller contre toutes ces choses, ces personnes qui m'entouraient... Maman, je suis tellement désolé...
Aujourd'hui est l'éternel anniversaire, 4 ans qu'il n'y a plus de fêtes. À la place, des messages de soutien qui reviennent annuellement. Tu en aurais eu 45, des années. Je t'oublie, que je le veuille ou non, et c'est dur à accepter. Les souvenirs que j'ai de toi ne sont plus autant présents qu'avant, les émotions qui y sont associées ont presque disparu. Je ne ressens plus tant de peine, de nostalgie, ou de manque... et ce manque me manque. Tu étais le repère que je ne pouvais voir, mon seul regret. Je voudrais te pleurer, mais je ne l'ai jamais vraiment pu. J'étais tant dissocié... le deuil, je ne l'ai pas vécu.
Mais je garde encore en mémoire ces instants de renaissance, ces instants de bonheur étincelant. Je garde encore en héritage ton sourire, cette quête de liberté. Je garde encore en souvenirs la fierté sur ton visage, les instants mère-fils si précieux. Je garde encore ces photos, ces vidéos, et me remémore les films comme si j'y étais. Je garde encore dans mes rêves cette dernière journée si particulière, cet apaisement, cette réconciliation, ce bonheur qui s'était ancré, ce dernier regard et ce dernier sourire adressés, dans cette rue, sur ces monts, ta main froide dans la mienne, tandis que chacun de nos mondes se trouvaient ébranlés. Maman, tu vois, je me souviens encore...
Hélyo James, 3 février 2022